Copy to Clipboard. Add italics as necessaryCitation: Pierre-Paul Carotenuto, «Le « Panthéon du Grand Cirque de France ». Présences françaises dans la fable d’Uccellacci e uccellini», dans Pasolini. Dialogues avec la France / Dialoghi con la Francia, éd. Marco Antonio Bazzocchi, et al., Cultural Inquiry, 36 (Berlin: ICI Berlin Press, 2025), p. 37–57 <https://doi.org/10.37050/ci-36_03>

Le « Panthéon du Grand Cirque de France »Présences françaises dans la fable d’Uccellacci e uccelliniPierre-Paul Carotenuto

Abstract

Le premier épisode du film Uccellacci e uccellini de Pier Paolo Pasolini critique certains courants de la culture française, tout en exprimant une admiration ambivalente. Pasolini, influencé par la France, satirise une pensée rationaliste absolutisante et caricature le panthéon des autorités et des intellectuels français. Il oppose la « pensée sauvage » à la rationalité occidentale à travers une confrontation entre un aigle muet et un dompteur français. Le film, inspiré entre autres des fables de La Fontaine, critique l’intellectualisme bourgeois et le marxisme français. Pasolini y dénonce la stagnation intellectuelle en France. Ainsi, par l’allusion à des figures comme Sartre et Mauriac, il symbolise une hiérarchie culturelle figée, et souligne la nécessité d’un renouveau face à une société capitaliste en pleine mutation.

Mots-Clés: Pasolini ; intellectuel ; marxisme ; religion ; pensée sauvage ; autorités

Par sa référence assumée à La Fontaine et sa caricature d’une panoplie d’auctoritates intellectuelles, le premier épisode, coupé au montage, d’Uccellacci e uccellini recèle de multiples sources d’inspiration françaises. Ainsi, l’attachement de Pasolini à la France se manifeste-t-il sous une forme ambiguë allant d’une admiration sans borne : « je considère la France comme le centre de ma culture » (considero la Francia il centro della mia cultura) à la satire d’une pensée rationaliste absolutisante opposée à la « pensée sauvage ».

Une France omniprésente

Notre contribution se concentrera sur ce premier épisode du film Uccellacci e uccellini, observatoire d’autant plus privilégié que ce film serait, au dire de Pasolini lui-même, celui où il se serait le plus exposé.1 On y constate une forte présence de la France, parfois manifeste, voire ostensiblement affichée, parfois plus discrète, à de multiples niveaux : Beginning of page[p. 38] genre, structure, idéologie, style et « langue » cinématographiques. Crispation, période charnière, dépassement, critique, ambiguïté de la position pasolinienne vis-à-vis de la culture française contemporaine sont les traits qui en ressortent. Cette omniprésence française touche à la fois le texte du scénario et le dense paratexte qui l’entoure, bien que Pasolini réfute tout lien d’hétéronomie entre ses essais théoriques et sa création.2

La première phase d’élaboration du film est celle du soggetto en trois épisodes, parus entre avril et mai 1965, dans trois numéros de l’hebdomadaire communiste Vie nuove, où Pasolini tient une rubrique de Dialogues avec ses lecteurs. Trois « histoires », comme une continuation sous forme de « fables comiques », des échanges parfois houleux avec ses lecteurs sur des sujets d’actualité. Ce soggetto contient un premier double accès français, et non des moindres. Celui-ci se situe au niveau du titre et du genre : les trois « fables ésopiques » s’intitulent alors respectivement L’aigle, Faucons et moineaux et Le corbeau (ces titres seront italianisés et modifiés par la suite, donnant lieu à L’uomo bianco, Uccellacci e uccellini et Laggiù).3 Si les titres en tant que tels ne renvoient pas directement à des œuvres des modèles, la matrice lafontainienne, elle, affleure au niveau des indices internes et se lie de près à la polémique contre un certain type de rationalisme, incarné dans le premier épisode par la caricature d’un dompteur-intellectuel français. Au final, donc, des titres français italianisés et une matrice lafontainienne qui s’estompe, tout comme les modèles classiques du genre : « une sorte de pamphlet composé de trois récits, qui ont comme archétype lointain les fables de Phèdre et de La Fontaine ».4

Le croisement de la fable et d’une dimension française investit deux plans. Le premier se lie à la composante idéologique du film et renvoie aux origines mythiques de l’attrait pour ce genre. La fable serait à même, selon le jeune Pasolini, d’« élever avec la plus grande spontanéité les animaux philosophants et donneurs de leçons dans le Beginning of page[p. 39] ciel de l’imagination […] dans une atmosphère épurée, de miniature ou de gravure ou d’art céramique ».5 Pasolini revendiquera pour des fabliers plus récents l’éviction des scories didactiques du noyau de pure fantaisie de la fable.6 C’est là un premier paradoxe, car il reconnaîtra a posteriori que, dans le difficile équilibre de l’« idéo-comique » d’Uccellacci e uccellini, la part d’idéologie aura tendance à écraser la composante de pure représentation.7 Or, c’est précisément cet excès d’idéologie qui constituera l’un des principaux points d’achoppement avec la culture française contemporaine.

Si la fable renvoie à une composante idéologique, elle renvoie également à une autre notion, à savoir celle de l’homologie. En s’appuyant sur une citation du sociologue franco-roumain Lucien Goldmann,8 le questionnement de Pasolini touche à la possibilité, pour le cinéma, de supprimer, comme dans les nouvelles formes du roman, le sujet en tant qu’individu problématique à la « recherche dégradée de valeurs authentiques dans un monde dégradé ».9 Cette suppression se fonde sur le principe de l’homologie entre l’écriture et les structures d’une société en pleine évolution, du modèle de concurrence à celui des monopoles industriels. Si un nouveau cinéma, et notamment un « cinéma de poésie », incarné selon Pasolini par l’œuvre filmique de Jean-Luc Godard, semble aussi aller dans le sens d’une suppression de la figure du héros à la recherche de valeurs dans une société ébranlée, cette tendance est néanmoins entravée, pour ce qui est du cinéma, par des données contingentes telles que le type de public et les contraintes liées à la production. Godard est au cœur du laboratoire déployé dans « Il “cinema di poesia” », essai qui jouxte le scénario d’Uccellacci dans l’édition Garzanti : « En somme c’est la “subjective Beginning of page[p. 40] libre indirecte” qui instaure la possible tradition d’une “langue technique de la poésie” dans le cinéma. Comme exemples concrets de tout cela, je soumettrai à l’analyse dans mon laboratoire Antonioni, Bertolucci et Godard. »10 Aussi, le principe d’homologie doit-il être associé à un autre principe, celui de déception, dans le sens d’une discordance sciemment recherchée par le poète-réalisateur à l’encontre des attentes des lecteurs-spectateurs. La notion sémiologique, empruntée à Jakobson, de déception du signe linguistique est au centre de la conception d’Uccellacci : « Une fable qui se termine comme elle ne doit pas, un picarisme qui ne dit pas ce qu’il doit dire : voici deux raisons de déception. Or : il faut décevoir. Sauter sans cesse sur les braises comme des martyrs ».11 Cette déception se lie ailleurs à l’image du poète-martyr, et la liberté d’enfreindre les codes stylistiques est dépeinte alors sous les traits d’un « attentat autolésioniste » de la part de l’auteur qui, dans un élan masochiste se situant à l’opposé de la conservation des institutions, s’inflige les plaies du martyr. Cette vocation s’incarne à nouveau dans l’exemplum de Jean-Luc Godard, héraut d’un cinéma cassant tout lien avec la tradition, aussi récente soit-elle, et se teinte d’un autre motif récurrent chez Pasolini, celui de l’hérésie stylistique.12

Mais revenons à présent à une autre allusion renfermée dans la citation de Lucien Goldmann : la suppression du « sujet » comme « individu problématique » connaîtrait sa principale déclinaison littéraire dans le Nouveau Roman, dont le « désengagement » est conçu par Pasolini comme l’une des déclinaisons de cet irrationalisme aussi présent que dénié dans la culture française. Or, le nom du représentant le plus insigne du Nouveau Roman se glisse dans la note en bas de page d’une intervention pasolinienne de 1965 ayant pour objet la linguistique saussurienne et son dépassement dans une perspective marxiste. Tout en prenant les devants quant à son inaptitude à traiter convenablement de certaines thématiques, Pasolini s’interroge sur les raisons de son amour pour une langue orale distincte à la fois de la langue et de la parole. Les linguistes de l’Europe industrielle n’auraient Beginning of page[p. 41] pas eu, comme lui, d’expérience sentimentale, idéologique et politique d’une langue appartenant à un monde antérieur et se comporteraient avec les « purs parlants » comme des « cueilleurs de lichens », ou pire, comme des colonialistes avec les peuples dominés.13 Là aussi, comme pour l’homologie, Pasolini souligne la révolution interne au monde capitaliste. À présent, en effet, les bourgeoisies européennes auraient radicalement modifié leur rapport avec les « purs parlants », ces derniers étant employés comme immigrés sous-payés. Et à la question sur l’issue linguistique de ce nouveau rapport, voici la réponse sibylline de Pasolini : « En attendant nous avons toute l’anthropologie structurale, en ce sens Lévi-Strauss est le poète des bas salaires, Robbe-Grillet le poète des monopoles ».14 Notons aussi que la langue française est choisie pour illustrer le dépassement des catégories saussuriennes : entre langue et parole, le poète apprenti linguiste introduit la langue vocale méta-chronique qui résoudrait le dilemme des « tableaux sémantiques du structuralisme entre synchronie et diachronie ». C’est le moment purement oral de la langue (la langue du cri, de l’interjection, des réflexes conditionnés, de la pure phonation animale) dont les signes seraient nécessaires, contrairement à l’arbitraire de la langue écrite, aussi primitive soit-elle « dans le cadre d’une pensée sauvage ». En effet, Pasolini précise que la langue est toujours pour lui la langue d’une civilisation, d’une culture, encore que primitive, et ce à l’opposé d’un « adorable » Saussure qui ne considèrerait que les groupes humains civilisés, en-deçà du moment purement oral, au sens à la fois philosophique et historique, la préhistoire se configurant comme une catégorie qui persiste dans notre inconscient. D’où la nécessaire conjonction entre linguistique, psychanalyse, ethnologie et anthropologie. Et la pointe finale, avec son souhait de « bon travail à L’Homme », revue d’anthropologie fondée, entre autres, par Claude Lévi-Strauss.15Beginning of page[p. 42]

Une structure qui veut être une autre structure

Passons à présent au plan structural des critiques émises par Pasolini, à l’époque d’Uccellacci, contre la culture française. Si, dans l’essai que nous venons de mentionner, il affirme que sa langue, l’italien, n’est pas une structure stable mais une structure qui veut devenir une autre structure, une structure en mouvement, du fait de sa précarité sociale, grammaticale et phonétique,16 c’est vers un autre document qu’il faut se tourner pour creuser cette poussée au dépassement de la structure. Dans l’édition Garzanti du scénario d’Uccellacci e uccellini, nous trouvons l’essai intitulé « La sceneggiatura come struttura che vuol essere altra struttura » (Le scénario en tant que structure qui veut être une autre structure). Par le prisme d’une remise en question des catégories lévistraussiennes et d’un emprunt aux apports de la récente sociologie américaine, le réalisateur analyse cette forme hybride qu’est le scénario. Pasolini en souligne simultanément la valeur de technique narrative spécifique aboutissant à une œuvre autonome et la propriété médiatrice d’étape conduisant — d’où le glissement de la notion de structure à celle, plus pertinente, de processus — de la phase littéraire au stade cinématographique. C’est là le sens de la requête implicite, faite aux lecteurs du scénario, d’un effort d’imagination supplémentaire consistant à penser en images, pour intégrer visuellement les allusions du signe linguistique.17 Cette notion de structure en mouvement s’adapte on ne peut plus pertinemment au premier épisode du soggetto, que le réalisateur tournera, mais qu’il élaguera et, au final, évincera en phase de montage. La trame s’articule autour d’un dompteur qui « veut domestiquer un aigle au moyen de toutes les finesses de la pédagogie moderne et qui finit par penser vouloir devenir un aigle à son tour ».18 La connotation française du personnage du dompteur, Monsieur Courneau, du nom du critique du Nouvel Observateur qui, quelques mois auparavant, avait démoli le Vangelo secondo Matteo Beginning of page[p. 43] accusant son réalisateur de tromperie sur la marchandise,19 vaudra à Pasolini des accusations de francophobie, dont il se défendra en rétorquant que, s’il a choisi un certain type d’intellectuel laïc parisien, c’est seulement en tant que représentant parfait de la bourgeoisie occidentale.20 Le réalisateur avait d’ailleurs déjà précisé ses reproches aux directs intéressés lors de sa rencontre houleuse de 1964 avec « certains représentants de la gauche française », à l’occasion de la projection de son Évangile : « l’intellectuel français a du mal à reconnaître l’irrationnel, le moment de la faim, du sous-prolétariat ».21 Si cette dimension de libelle est pleinement assumée par Pasolini, le caractère allégorique qui se dissimule derrière cette entreprise d’ « édification » a attiré notre attention, car il incarne le thème du rapport dialectique impossible, et de ce fait scandaleux, entre la religion irrationnelle du Tiers Monde, personnifié dans le film par un aigle muet, soit la « pensée sauvage » qui domine l’un des écriteaux du cirque, et la logique rationnelle occidentale du dompteur. La nécessité d’une confrontation entre ces deux pôles est au cœur de la réflexion pasolinienne en ce milieu des années soixante. Le terrain conceptuel commun à l’ensemble des épisodes d’Uccellacci est identifié dans la crise du marxisme des années cinquante « soufferte et vue par un marxiste, de l’intérieur […] en aucun cas disposé à croire que le marxisme est terminé […] dans la mesure où il saura accepter de nombreuses nouvelles réalités […] suggérées dans le film ».22 Aussi, il nous semble que c’est précisément sur Beginning of page[p. 44] cette perspective douloureuse que se greffe la crispation des relations entre Pasolini et la France.

Sous le chapiteau du Grand Cirque de France

Pénétrons alors sous le chapiteau du Grand Cirque de France. L’oxymore de la première didascalie est on ne peut plus évocateur, car la première scène se situe dans le « Panthéon du “Grand Cirque de France” », un saint des saints localisé dans les coulisses du cirque. Ce dernier abrite une collection d’auctoritates françaises prenant la forme d’effigies à la hiérarchie figée. « Les “Grands” de France, statues, portraits, lithographies ou estampes, sont alignés contre les parois du Panthéon : Sartre aux côtés de Mauriac, Camus de Claudel et caetera, selon l’ordre de leur prestige et de leur succès. » Et dans la foulée : « Plus grand que tous les Grands, sur un mur est placé De Gaulle. »23 Si certaines de ces personnalités sont panthéonisées de leur vivant et que, dans la version filmique, la mosaïque est plus bariolée (Proust, Beauvoir, mais également Gabin, Belmondo, Chevalier et un De Gaulle acéphale, pour ne citer que ceux que j’ai reconnus), ce qui importe ici, ce sont les paires allusives d’un canon figé. En effet, laissant pour l’instant de côté « saint Sartre » et Camus24, les deux autorités restantes font l’objet, chez Pasolini, d’un nombre limité d’interventions. L’académicien et Prix Nobel François Mauriac est cité dans un parallèle avec le Dante de la Mala Mimesi, où il côtoie Sartre dans la chronique du Saint-Germain existentialiste,25 alors que l’autre académicien, Paul Claudel, est « non aimé » par un jeune Pasolini qui lui préfère « les autres catholiques français », Péguy, Bernanos et Maritain. « [N]on aimé » à cause de l’« apriorisme de son exaltation et de son apostolat », « non aimé » à cause d’une « “inventio” conçue par le poète tel un texte dicté » et à laquelle ferait défaut « le drame, l’humilité »,26 bien que Pasolini suspende son jugement et promette de le relire. Par Beginning of page[p. 45] la suite, il rangera Claudel dans la catégorie des « mystiques des dernières crises, plus enclins au problème de Dieu qu’à Dieu, en cela trop pascaliens ».27

Dans un échange serré relaté par Vie nuove, Giordano Siviero, italien émigré en Moselle, accuse le réalisateur de s’être livré, dans l’épisode de l’Aigle, à une allégorie obscure. Une formule par laquelle Pasolini mettrait « dans le même sac d’illustres représentants de courants politiques opposés », pour les exposer dans le « Panthéon de [son] souverain mépris ». Pasolini rétorquera à ce qu’il qualifiera de « conjectures »,28 de déductions simplificatrices isolant la partie du tout. D’autant plus injustes qu’il revendique haut et fort sa dette envers la France pour « ce merveilleux instrument de connaissance (qui est également [s]a matrice culturelle) fourni par les Lumières et le rationalisme français ».29

Quant à moi, je n’en veux pas à la France, que je considère comme le centre de ma culture. J’en veux, dans mon épisode, à un certain type d’intellectuel laïc parisien, en tant que représentant parfait d’une certaine bourgeoisie du monde occidental. Aussi, ai-je de nombreuses observations polémiques à faire à l’encontre de la culture française de ces dernières années (mais Barthes, Fanon, Lévi-Strauss sont français !).30

Par-delà la dimension de libelle étroitement lié à l’actualité, l’axe de la réponse se tourne ensuite indéniablement vers une dimension où la structure s’immerge dans l’histoire, et où, comme c’est souvent le cas lorsque Pasolini se réfère à la France, l’Italie n’est jamais bien loin. En effet, tandis que celle-ci aurait, au travers notamment de la Résistance, exercé une critique révolutionnaire sur les formes de la culture précédente, la France aurait, quant à elle, éludé cette profonde remise en question. Depuis le binôme, encore un binôme oppositif, Flaubert-Rimbaud, il n’y aurait eu aucune solution de continuité dans l’élaboration d’un critère de jugement interne : « L’enchaînement des modes littéraires n’a jamais été interrompu. La hiérarchie des valeurs a Beginning of page[p. 46] toujours été la même, et aucune division, ni fictive, ni réelle n’a jamais fissuré le panthéon français. » Pasolini précise la cible de sa critique lorsqu’il assène que, face à une « présence continue et géniale de Sartre pour ce qui est de la production d’essais », il manque en France une littérature de l’engagement assez consistante pour inaugurer une nouvelle période littéraire. Dans un élan pédagogique, Pasolini s’émeut alors de ce qu’un jeune marxiste français soit dépourvu de tout critère moral dans ses choix littéraires et que « dans son panthéon il y [ait] Sartre près de Mauriac, Tel Quel près de Clarté ». Ensuite, Pasolini évoque les haines et les contrastes qui se produisent, d’abord et de façon préventive sur un plan idéologique, avant même l’opération littéraire. Mais c’est encore la métaphore du panthéon qui s’impose, cette fois-ci dans une démarche d’évidement, de désacralisation : du fait que « les fils » n’ont pas le courage de « faire tomber les anciens dieux et de les remplacer », « le panthéon est bondé, mais le catalogue est encore disponible pour de nouveaux caveaux ». D’où l’hypothèse, sous forme de paradoxe : « D’ailleurs, si un fanatique, au nom d’une condamnation idéologique héritée des recherches italiennes des années 1950, voulait faire table rase, il viderait le panthéon, qui deviendrait tout court une basilique consacrée à saint Sartre et à ses constellations. » Le langage allusif cède alors la place à un semblant d’éclairage marxiste : « Le marxisme français n’a pas produit de force culturelle intermédiaire susceptible d’exercer une critique révolutionnaire de la culture ayant précédé le marxisme. Peut-être parce qu’en France le scandale n’avait pas sa place ; rien ne rentre scandaleusement dans une relation dialectique avec le libéralisme français. »31

Mais revenons à notre épisode manqué. L’aigle, « muet et sauvage », sur une échasse positionnée face à l’effigie de De Gaulle, surplombe le Panthéon. La seule fêlure à cette grandeur oppressante est incarnée par Ninetto, valet du Grand Cirque de France, immortalisé en train d’accomplir une action en résonance avec d’autres lieux et projets pasoliniens :

Au milieu de toute cette Grandeur, humble et drôle, il y a un jeune garçon, bouclé, avec un balai, qui est en train de passer le balai. Alors qu’il passe le balai, il tombe sur les visages en plâtre des Grands,Beginning of page[p. 47] et par pur instinct vital, mu par une envie soudaine, un caprice, il imite, tout en riant dans sa barbe, avec un éclair de joie sacrilège, leurs expressions pensives et sourcilleuses. Les uns après les autres les Grands tombent sous le regard et le manque total de respect de Ninetto.32

Le sacrilège ninettien se reproduira dans la suite de l’épisode, notamment au travers d’une réécriture parodique des Béatitudes évangéliques, ou encore lorsqu’il expliquera à un journaliste le sens de l’adjectif « anthropologique » (« Ben, c’est tout ce qu’on donne à manger aux bêtes »).33

Une fois le décor planté, l’action est lancée : après l’annonce aux journalistes d’une « entreprise qui demeurera inoubliable dans l’histoire de la civilisation »34 (impresa che resterà inobliabile nella storia della civilizzazione), nous assistons au lancement en grande pompe du rituel de civilisation de l’aigle. Précisons que la parodie est aussi linguistique, et ce au moyen de calques, d’intrusions, dans le tissu lexical et syntaxique, de mots français, ou même de pans entiers de répliques signalés par les didascalies, la mimesis caricaturale étant poussée jusqu’au paraverbal des tics, avec la typique « grimace à la française »35 de Monsieur Courneau. Après une première approche consistant à feindre d’« ignorer courtoisement » l’Aigle,36 le rituel s’articule en quatre phases. En premier lieu, Courneau projette pour Ninetto (en réalité, pour l’Aigle) une série de documentaires — nous assistons donc à un film dans le film, ou mieux un récit dans le récit, démarche propre également au reste du film. Ceux-ci viseraient, d’après le dompteur, à illustrer les quatre piliers de la civilisation occidentale, à savoir la famille, la patrie, la raison, que Ninetto confond un instant avec la religion, et, à la première place, l’esprit, qui tourne en dérision les trois précédents et en révèle le formalisme inconséquent. Dans cette succession de tableaux vivants, qui pourraient parodier indirectement les piliers lévistraussiens du lien social, nous assistons, dans l’ordre, à Beginning of page[p. 48] des scènes de voyeurisme familial à l’intérieur d’une famille de la riche bourgeoisie de province résidant dans le village proustien de Combray, et à une parade militaire où, dans un comique chaplinien, les hauts-de-forme des ministres français s’envolent et se posent aux pieds d’un clochard parisien, alors qu’un père Fraternité est enseveli sous la cloche de son église à cause du tir inopiné du père de famille bourgeois.

Cette première étape du rituel est un fiasco. S’ensuit une deuxième phase, la « conquête d’une langue ». Le processus antiphrastique atteint alors l’un de ses sommets lorsque, face au totem cloué dans son silence, le dompteur met en avant le modèle humaniste d’un Étienne Dolet et de sa Manière de bien traduire d’une langue en l’autre, alors que le silence de l’aigle est par définition intraduisible. Aux modèles savamment choisis s’ajoutent alors les principes d’une réduction à de modestes proportions et d’une ironie qui fera de notre aigle « je ne dis pas le plus intelligent de tous, mais le module, le fonctionnement même de l’intelligence ».37

Troisième temps de l’entreprise de Monsieur Courneau. La métaphore se recentre sur elle-même et nous assistons à un véritable numéro de cirque, soit à une domestication passant par l’exemplum de clowns et de fauves en cage — tous présents, sauf un évidemment, le lion d’Algérie, prosopopées des anciennes colonies, clowns et fauves « qui ont accepté d’entrer en relation avec l’homme blanc ». Nous nous bornerons ici à Monsieur le chameau du Ghana, ce dernier annonçant son ambition ultime : « connaître toute la grande culture européenne de Marx à Lévi-Strauss et aller l’enseigner dans la capitale de mon pays ».38 Nous sommes ici dans une sorte d’anti-Profezia, soit aux antipodes de ce poème cruciforme dédié à Sartre — qui avait raconté à Pasolini l’histoire d’Ali aux yeux bleus — où les croisés d’une armée du Tiers Monde débarquée sur les côtes de Calabre « détruiront Rome | et sur ses ruines | déposeront le germe | de l’Histoire ancienne » avant de « rejoindre Paris | pour y enseigner la joie de vivre ».39 Si l’immobilisme et le mutisme de l’aigle peuvent s’expliquer par une subversion inhérente au Tiers Monde, tout aussi inéluctable sera la Beginning of page[p. 49] réaction du dompteur transformé en dictateur chaplinien et déchargeant ses invectives racistes, inclusives d’allusions explicites aux tortures des guerres coloniales et, plus particulièrement, aux faits récents d’Algérie. Nous sommes ici face au « bruit sourd de la rage réactionnaire » déclenchée dans un « cœur blanc » par un simple « doux visage camus et foncé ». La notion pasolinienne de racisme, soit l’incapacité, de la part du bourgeois, à concevoir toute forme d’altérité, constitue un accès privilégié au rapport entretenu par Pasolini avec ses sources françaises en cette seconde moitié des années soixante. En effet, dans son interview à Ferdinando Camon de ’69, au « mythe raciste “négatif” » du vieux bourgeois, Pasolini oppose le renversement de ce même mythe par les « bons bourgeois », ce dernier aboutissant au hissage du « drapeau du paysan et du prolétaire pauvre, entité métaphysique (élégantissime chez Lévi-Strauss, bouleversante chez Fanon) d’une apocalypse positive, rédemptrice ».40 La pensée pasolinienne se précise davantage dans un essai de 1970 paru posthume et intitulé « Che fare col “buon selvaggio” ? », dans lequel une ultérieure distinction est établie entre, d’un côté, la solution de l’« intégration réciproque entre la culture par excellence (la nôtre) et la culture (admise) du “bon sauvage” », solution incarnée par la Négritude senghorienne, de l’autre « la reconnaissance objective de cette dernière culture comme d’un “ensemble” exhaustif une fois pour toute de la totalité, dans des structures immuables (Lévi-Strauss) ». Mais restons encore un instant sur les invectives racistes de Monsieur Courneau, car il nous semble de pouvoir y déceler la première percée d’un irrationnel qui, plus il est refoulé, plus il affleure sous des formes incontrôlables : « le moment irrationnel n’est pas seulement le propre de ce milliard d’hommes qui pointent à la porte de l’histoire, mais l’irrationnel est dans la France elle-même. Certains phénomènes tels que celui des paras sont irrationalistes, le nationalisme désespéré est irrationaliste ».41 L’aversion nourrie par Pasolini pour l’actuelle forme bourgeoise du pouvoir se situerait donc essentiellement à deux niveaux : la répulsion à l’égard d’une soi-disant rationalité bourgeoise, gangrenée par une obsession Beginning of page[p. 50] identitaire, et la répugnance pour la structure profondément raciste de cette même pensée. Autant de pièges dans lesquels s’étaient englués, pour d’autres raisons, certains marxistes. Ceux-ci avaient marqué du sceau de l’irrationnel tout ce qui ne rentrait pas dans leur vision, inévitablement inhérente à l’histoire et à l’idéologie bourgeoises, ou avaient évité de se poser le problème, par exemple, d’une instance évangélique à la racine de leur philosophie. C’est là précisément l’objet de la rencontre, en 1964 à Paris, entre Pasolini et Sartre. Par-delà le prétexte de cette entrevue survenue dans la foulée de l’« indulgent autodafé » du Vangelo et de « l’absolution du tribunal ecclésiastique réuni à Notre-Dame »,42 par-delà même un existentialisme que le jeune Pasolini reconnaît comme « la seule philosophie que je sente très proche de moi […] avec sa notion poétique […] d’”angoisse”, et son identification existence-philosophie »,43 Sartre est le seul représentant d’une certaine mouvance intellectuelle française à avoir compris de « devoir forcer sa propre culture de type rationnel » au-delà des frontières du rationalisme des Lumières, pour « saisir toute la réalité ».44 C’est encore ce Sartre dont Pasolini, en 1971, reconnaîtra le « moralisme absolu », celui des victimes qui ne sont jamais innocentes de L’existentialisme est un humanisme, un moralisme absolu qui devient « une vision religieuse du monde ».45

Pasolini explorateur des sciences sociales

Mais revenons aux passages d’interviews cités plus haut, car au travers des présences plus ou moins explicites que l’on peut y déceler, nous voyons poindre ici cette « bibliothèque anthropologique » qui donne son titre à un paragraphe de la monographie d’Alberto Sobrero.46 L’auteur part du constat d’un Pasolini explorateur des sciences Beginning of page[p. 51] sociales,47 alors que Pasolini, quant à lui, n’aura de cesse de se distinguer de ses collègues écrivains dépourvus de notions ethnologiques et anthropologiques, qu’il posséderait quant à lui « ni en tant que professionnel, ni en tant qu’amateur, mais en simple homme de lettres qui a choisi “pour cause” de telles lectures »,48 de ces intellectuels ignorant la distinction entre « culture populaire » et « culture historique » : « La linguistique et l’ethnologie sont soigneusement ignorées. Mais Lévi-Strauss ! Mais le structuralisme ! Ils n’ont pas été obligatoires. Naturellement on en a parlé mais on ne les a pas lus. »49 Or, l’enquête de Sobrero souligne que Pasolini se serait lui-même approprié la plupart de ces auteurs de façon médiée : en effet, si le terme d’« apocalypse positive, rédemptrice »,50 employé dans sa réponse à Camon, pourrait cacher un renversement de la notion demartinienne, nous apprenons que c’est précisément dans l’anthologie de l’ethnologue napolitain de 1962, Magia e civiltà, que Pasolini aurait rencontré des extraits entre autres, et pour nous limiter au seul volet français, de Lévy-Bruhl et Lévi-Strauss, et de façon encore plus probante, dans l’anthologie fortinienne de 1965, Profezie e realtà del nostro secolo, les principaux représentants du débat social et culturel de ces années (Fanon, Sartre, à nouveau LS, Foucault).51

Si la liberté pasolinienne dans la lecture de certains auteurs ne constitue pas l’objet de notre intervention,52 ce qui prime à nos yeux c’est l’impression que la position de Pasolini vis-à-vis de certains courants de la culture française contemporaine se modifie au gré de l’évolution, ou mieux de l’involution, de son mythe du Tiers Monde (« Afrique ! Ma seule alternative ! »),53 un mythe d’altérité absolue qui s’est détérioré au fil des ans. Si les vieux bourgeois européens, une fois la décolonisation achevée, restaient là avec leur racisme, les Beginning of page[p. 52] bourgeois de gauche, ceux-là même qui s’étaient abreuvés à la pensée et aux œuvres d’un humanisme africain (Senghor, Césaire, Fanon, Amílcar Cabral), s’étaient limités à renverser le mythe des peuples exclus de l’histoire, finissant par bâtir un nouveau mythe.54 Concernant l’anthropologie, Pasolini aurait confié à celle qu’il considérait comme la discipline première parmi les sciences sociales, le rôle de contraster le racisme bourgeois, de soustraire ces peuples à l’histoire bourgeoise, mais en même temps celui de les soustraire à la « métaphysique du naturalisme », de leur reconnaître une culture qui, tant bien que mal, paraissait disposée à la sacralité de la vie. Mais, là encore, Pasolini se serait senti trahi, ne se reconnaissant pas dans l’immuabilité, l’anhistoricité de cet « ”ensemble” exhaustif une fois pour toute de la totalité, dans des structures immuables (Lévi-Strauss) ».55

En revanche, sous notre chapiteau-panthéon, le mutisme de l’aigle cède, l’espace d’un instant, face aux premiers signes de transe mystique du dompteur : « Vous voulez vraiment savoir ce que je suis en train de faire ? […] Je prie ! »56 L’action rebascule alors dans le « sanctuaire » des Grands, où nous retrouvons Monsieur Courneau qui, à présent, paraît vêtu « humblement » tels « certains prêtres modernes », et qui semble avoir pris conscience, dans une nouvelle forme d’inconscience, que sa stratégie pédagogique doit s’adapter à la révélation de son totem. Plutôt ressemblant à une figure hybride de psychanalyste-chaman-acteur (« J’ai compris, entre le monde de la civilisation occidentale et ton monde… le Tiers Monde… Ce qui est en jeu c’est la religion »),57 il se lance dans la déclamation de textes qu’il qualifiera de « religieux », et qu’il articulera selon une savante gradation rhétorique en friction comique avec son état de transe : mis à part le dernier texte de sa lectio — l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII —, les autres citations sont françaises, mais cette fois-ci issues d’un univers poétique et de pensée qui n’est plus celui d’une culture majoritairement contemporaine. Si les Pensées pascaliennes font figure de première autorité appelée en secours pour tenter de convertir l’aigle, cette citation nous renvoie,Beginning of page[p. 53] du fait de son contexte anthropologique renversé, à un étrange cas d’erreur de citation.

Dans un essai de 1965 qui aurait dû préfacer le recueil Alì dagli occhi azzurri, Pasolini a recours au totémisme lévistraussien pour métaphoriser la volonté de marxisme chez un écrivain bourgeois. Celle-ci peut en effet emprunter différents chemins, parmi lesquels celui consistant à vivre les expériences vitales d’autrui, « insurmontablement » autres. À ce propos, Pasolini concède qu’il aimerait citer en épigraphe une phrase de Pascal citée à son tour par Lévi-Strauss : « Toutefois, à l’instar de Radcliffe-Brown et Bergson, Rousseau voit dans l’acquisition, chez l’être humain, de la structure “spécifique” du monde animal et végétal, la source d’une différence sociale qui ne peut être vécue qu’à condition d’être conçue. »58 Si Walter Siti se borne à relever l’anomalie-anachronisme de cette citation dans la citation,59 d’autant plus étrange, rappelons-le, que les Pensées pascaliennes avaient représenté pour le jeune Pasolini « [s]on livre » durant la guerre et « cette sorte d’exil dans la campagne frioulane »,60 nous avons découvert que cette citation renverrait en fait à un passage du cinquième chapitre, intitulé Le totémisme du dedans, du lévistraussien Le totémisme aujourd’hui, sorti en 1962, soit la même année que La Pensée sauvage : « Pourtant, comme Radcliffe-Brown et comme Bergson, Rousseau voit, dans l’appréhension par l’homme de la structure “spécifique” du monde animal et végétal, la source des premières opérations logiques, et, subséquemment, celle d’une différenciation sociale qui ne peut être vécue qu’à la condition d’être conçue. »61 Peut-être Pasolini confond-il ici Pascal avec le Rousseau du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : en effet, selon Rousseau cité par Lévi-Strauss, le passage de la Nature à la Culture coïnciderait avec la naissance de l’intellect, et la culture reposerait donc sur l’aptitude de l’homme à se perfectionner « faculté qui […] réside parmi nous, tant dans l’espèce Beginning of page[p. 54] que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie ». Pensée qui recoupe de près précisément une pensée pascalienne, tirée plus exactement du Fragment de préface pour le traité du vide : « N’est-ce pas indignement traiter la raison de l’homme que de la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure toujours dans un état égal. » À noter, en passant, que le cinquième chapitre du Totémisme aujourd’hui est celui où l’anthropologue oppose Rousseau à Sartre car « cette philosophie de l’identification originelle à tous les autrui est la plus éloignée qu’on puisse concevoir de l’existentialisme sartrien ».62

L’imitation aquilae

Or, ce n’est ni au Sartre de La Critique de la raison dialectique, ni au Lévi-Strauss d’Histoire et dialectique, chapitre final de La pensée sauvage, dans lequel l’anthropologue disqualifie en bloc la philosophie sartrienne, qu’a recours notre directeur de cirque-chaman pour percer le mystère de l’aigle. Le deuxième texte choisi, après un Pascal sans doute trop « spécialisé », ne consiste pas dans un « texte religieux à proprement parler », mais dans de la « poésie… et donc à sa façon religieuse… ».63 Et le choix ne pouvait que tomber sur le Rimbaud d’Une saison en enfer, celui d’une poésie qui, plus que toute autre, est « contaminée par la vie dans son acception la plus violente et la plus immédiate »,64 le Rimbaud du lacanien « Je est un autre », où l’identité est habitée par l’altérité, la pensée sauvage, où l’obsession identitaire du bourgeois vacille et la pensée n’est plus une identité consciente, le sujet n’est plus un avec soi-même mais se retrouve hors de soi, dans cet autre qui le dépossède. Monsieur Courneau, entre deux visions, est « comme possédé […] par un début de transe […] muet […] dans un état de ravissement ».65 C’est le Rimbaud d’Une saison en enfer, celui Beginning of page[p. 55] de l’aphasie du « Je ne sais plus parler ».66 Nous retrouverons d’ailleurs sous peu le dompteur « perché, dans la même et identique position de l’aigle, dans une sorte d’imitatio aquilae habitée ».67 Si l’expression latine est en réalité une altération du syntagme religieux imitatio Christi, il nous suffira de mentionner ici que les sources sont encore une fois multiples : du traité d’édification spirituelle d’époque médiévale, au modèle lafontainien du « Corbeau voulant imiter l’Aigle »,68 où le volatile « glouton » veut imiter « l’oiseau de Jupiter » et s’abat sur un mouton, mais, ne mesurant pas ses forces, se fait mettre en cage par le berger. Chez Pasolini, hors allégorie, c’est ici toute l’inaptitude du tenant d’un rationalisme irréligieux à embrasser authentiquement l’ouverture à l’irrationnel qui est emblématisée. Sans oublier ce « mouvement de conscience » qui pousserait un bourgeois-catholique à la « trahison » de son idéologie de classe pour embrasser le marxisme, un mouvement que Pasolini décrit selon une phénoménologie mystique. C’est précisément avant le « saut de qualité » représenté par l’adhésion à un marxisme où la religiosité perdrait toute connotation métaphysique, que s’insinue un « instant de vide » imprégné d’anciens résidus d’irrationalisme.

Au moment où quelqu’un accomplit ce saut de qualité il n’est pas encore marxiste : il y a donc un instant de vide pendant lequel, s’il se met en mouvement, il se met en mouvement pour cette impulsion d’amour que deux mille ans d’imitatio Christi — hélas, combien de fois trahie — lui ont enseignée.69

C’est bien dans ce saut dans le vide, dans cet instant de suspension — qui est également la suspension brechtienne-barthésienne d’un sens émanant d’une réalité qui « nous parle avec son langage chaque jour, en transcendant — en un sens encore indéfini [..] nos propres significations »70 que se cache, à notre avis, la morale de la fable pasolinienne d’Uccellacci. C’est aussi l’hésitation de Pasolini qui, à ce stade Beginning of page[p. 56] de sa parabole poétique et idéologique, oscille entre admiration sans bornes et remise en question de ses modèles français.

D’un côté, l’incapacité à renoncer au désir d’apporter de l’ordre dans le magma, à se contenter d’en connaître la géométrie (« je n’aurai jamais d’autre alternative que le marxisme »),71 néanmoins flanquée de la conscience lucide d’un tournant de l’histoire : « Le structuralisme anthropologique (fascinant pour son étude de la pensée sauvage et pour son interprétation du totémisme), avec son “intellectualisme, idéalisme et nominalisme” dont Gurvitch accuse Lévi-Strauss, représente à la perfection ce moment de la pensée occidentale dans les pays du capitalisme avancé qui semble devancer le marxisme pour quelque chose de nouveau, et d’extrêmement tendu. »72 De l’autre, l’anomalie de son cas particulier qui lui consent l’illusion de pouvoir concevoir une expérience de vie autre, qui ait comme trait principal la religion, la « pensée sauvage ». Nous retrouvons ici cette illusion totémique dont parle Lévi-Strauss et qui « consiste d’abord en ceci, qu’un philosophe ignorant l’ethnologie, comme Bergson, et un autre, vivant à une époque où la notion de totémisme n’avait pas encore pris forme [Rousseau], aient pu, avant les spécialistes contemporains […] pénétrer la nature de croyances et de coutumes autres ». Toujours selon Lévi-Strauss, ceux-ci « y parviennent car [Bergson] a pu comprendre ce qui se cache derrière le totémisme, parce que sa propre pensée était, sans qu’il le sût, en sympathie avec celles des populations totémiques […] [avec le] même désir d’appréhension globale de ces deux aspects du réel […] continu et de discontinu ».73

Pasolini évoquera le trope de la sineciosi fortinienne comme l’élément le plus important de sa pensée, et il ira même jusqu’à affirmer : « en raisonnant de façon un peu folle celle-ci consiste en une sorte de totémisme stylistique », si comme l’entend le Lévi-Strauss pasolinien « le procès totémique est une tentative de procès dialectique, d’intégration des contraires, faite pour ainsi dire en rêve ».74 Aussi, il nous plaît ici de rappeler le trait principal que Durkheim, cité par Lévi-Strauss,Beginning of page[p. 57] attribue à la pensée religieuse, à savoir le « goût naturel, aussi bien pour les confusions intempérantes que pour les contrastes heurtés ».75

D’autres présences françaises surgiront de la fable d’Uccellacci, en particulier au travers de cette « métaphore irrégulière de l’auteur » qu’est le corbeau — à la fois socratique, lafontainien, marxiste, whitmanien.76 Nous pensons notamment à la présence véhiculée par Elsa Morante du mysticisme franciscain d’une Simone Weil. Le sens, au final, est celui émanant de la rencontre entre Pasolini et Sartre, avec sa critique de l’« attitude ambiguë » de la gauche française, d’un rationalisme qui aurait « mis de côté » le « Christ culturel », et plus généralement d’un marxisme incapable d’autocritique. D’où l’urgence sartrienne de susciter telle « une “contagion” » parmi les intellectuels une réflexion autour du « problème du Christ » qui se reflète dans le rapport au “tiers monde” »77 ou, pour le dire comme Pasolini, d’un « marxisme ouvert à toutes les possibles contaminations et à tous les syncrétismes », à la « faille de la norme ».78

Notes

  1. Pier Paolo Pasolini, « Lettera aperta», dans Pasolini, Per il cinema, éd. Walter Siti et Franco Zabagli, 2 vol. (Milan : Mondadori, 2001), i, p. 830–31 (p. 831).
  2. Pier Paolo Pasolini, « Razionalità e metafora in Pier Paolo Pasolini », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 2911–17 (p. 2913–14). Nous traduisons. Les mentions bibliographiques incluses dans les notes font référence aux éditions originales en italien.
  3. Walter Siti et Franco Zabagli, « Note e notizie sui testi », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 3033–3249 (p. 3102).
  4. Ibid., p. 2906.
  5. Pier Paolo Pasolini, « Dittatura in fiaba », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, éd. Walter Siti et Silvia De Laude, 2 vol. (Milan : Mondadori, 1999), i, p. 337–40 (p. 337).
  6. Ibid., p. 338.
  7. Pier Paolo Pasolini, « Risvolto di copertina », dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 828–29 (p. 828).
  8. La référence concerne Pour une sociologie du roman, dont la version italienne sera publiée par l’éditeur Feltrinelli en 1965, soit l’année de l’élaboration d’Uccellacci e uccellini. L’editio princeps, quant à elle, est en français : Lucien Goldmann, Pour une sociologie du roman (Paris : Gallimard, 1964).
  9. Pasolini, « Risvolto di copertina », p. 828.
  10. Pier Paolo Pasolini, « Il “cinema di poesia” », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1461–88 (p. 1477).
  11. Pasolini, « Lettera aperta », p. 830.
  12. Pier Paolo Pasolini, « Il cinema impopolare », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1600–10 (p. 1604–08).
  13. Pier Paolo Pasolini, « Dal laboratorio (Appunti en poète per una linguistica marxista) », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1307–42 (p. 1318–19).
  14. Ibid.
  15. Ibid., p. 1328–33.
  16. Ibid., p. 1315–16.
  17. Pier Paolo Pasolini, « La sceneggiatura come “struttura che vuol essere altra struttura” », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1489–1502.
  18. Pier Paolo Pasolini, « Il cinema secondo Pasolini », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 2890–2907 (p. 2907).
  19. Le 4 mars 1965, dans Le Nouvel Observateur, paraît la critique de Michel Cournot intitulée par provocation « Tonton Marx à Bethléem ». L’Évangile selon saint–Matthieu y est défini comme « un film fait par un prêtre pour les prêtres » et « une tromperie sur la marchandise ». Voir, à ce propos Vincenzo Bassoli, « Il Vangelo secondo Matteo », Quaderni di cultura, 2.7 (1966), p. 3–17, en particulier le paragraphe intitulé « Come fu accolto il film dagli ambienti francesi di sinistra ». Concernant la séquence en question, nous avons pu, sous la supervision de Roberto Chiesi, consulter ce qui reste de la version filmée de l’épisode de « Totò al circo » auprès du Centro StudiArchivio Pier Paolo Pasolini de la Cineteca de Bologne. La séquence est à présent disponible également à l’intérieur des contenus bonus du dvd en commerce : « Totò al circo », dans Uccellacci e uccellini, réalisé par Pier Paolo Pasolini (Arco Film, 1966).
  20. Pier Paolo Pasolini, « Dai “Dialoghi con Pasolini” su Vie Nuove », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, éd. Walter Siti et Silvia De Laude (Milan : Mondadori, 1999), p. 875–1089 (p. 1062–63). Pour l’allusion à l’attaque critique à son Vangelo, voir Pier Paolo Pasolini, « Opera “ideo-comica” con tema religioso », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 2908–10 (p. 2908–09).
  21. Maria A. Macciocchi, « Cristo e il marxismo », L’Unità, 22 dicembre 1964, p. 3.
  22. Pasolini, « Lettera aperta », p. 831.
  23. Ibid., p. 681.
  24. Concernant Camus, nous renvoyons au colloque napolitain de 2010 Camus e Pasolini, tra mito e tragedia dont les actes ne sont pas encore parus.
  25. Pier Paolo Pasolini, « Appendice. La mala mimesi », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1391–99 (p. 1396).
  26. Pier Paolo Pasolini, « Non ho amato Claudel », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, ii, p. 2721.
  27. Pier Paolo Pasolini, « Voci nella città di Dio », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 394.
  28. Pasolini, « Dai “Dialoghi con Pasolini” su Vie Nuove », p. 1062.
  29. Macciocchi, « Cristo e il marxismo », p. 3.
  30. Pasolini, « Dai “Dialoghi con Pasolini” su Vie Nuove », p. 1062–63.
  31. Ibid., p. 1065–66.
  32. Pier Paolo Pasolini, Uccellacci e uccellini, dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 675–834 (p. 681).
  33. Ibid., p. 684. Dans l’original, Ninetto s’exprime en dialecte romain.
  34. Ibid., p. 683.
  35. Ibid., p. 685.
  36. Ibid., p. 686.
  37. Ibid., p. 695–96.
  38. Ibid., p. 701–02.
  39. Pier Paolo Pasolini, « Profezia », dans Pasolini, Tutte le poesie, éd. Walter Siti, 2 vol. (Milan : Mondadori, 2003), i, 1285–91 (p. 1289).
  40. Pier Paolo Pasolini, « [Intervista rilasciata a Ferdinando Camon] », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 1626–46 (p. 1642).
  41. Macciocchi, « Cristo e il marxismo », p. 3.
  42. Ibid.
  43. Pier Paolo Pasolini, Lettere 1940–1954, éd. Nico Naldini (Turin : Einaudi, 1986), p. 171.
  44. Macciocchi, « Cristo e il marxismo », p. 3.
  45. Pier Paolo Pasolini, « [Intervista rilasciata a Clemente Ciattaglia] », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 1682–88 (p. 1687).
  46. Alberto Sobrero, Ho eretto questa statua per ridere. L’antropologia e Pier Paolo Pasolini (Rome : Cisu, 2015).
  47. Ibid., p. 46.
  48. Pier Paolo Pasolini, « Mircea Eliade, Mito e realtà, Elias Canetti, Potere e sopravvivenza », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, ii, p. 2113–18 (p. 2116).
  49. Pier Paolo Pasolini, « [Cultura borghese – Cultura marxista – Cultura popolare] », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, ii, p. 1995–2001 (p. 1995).
  50. Alberto Sobrero, Ho eretto questa statua per ridere, p. 113.
  51. Ibid., p. 77.
  52. Ibid., p. 78–79.
  53. Pier Paolo Pasolini, « Frammento alla morte », dans Pasolini, Tutte le poesie, i, p. 1050. Voir Pasolini, « [Intervista rilasciata a Ferdinando Camon] », p. 1638.
  54. Ibid., p. 1642–43.
  55. Alberto Sobrero, Ho eretto questa statua per ridere, p. 113.
  56. Pier Paolo Pasolini, Uccellacci e uccellini, p. 704.
  57. Ibid., p. 705.
  58. Pier Paolo Pasolini, « I diseredati sono il nostro “Terzo Mondo” », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 825–29 (p. 828).
  59. Walter Siti et Silvia De Laude, « Note e notizie sui testi », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 1732–1831 (p. 1799).
  60. Pier Paolo Pasolini, « [Nota all’Usignolo della chiesa cattolica] », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 366–68 (p. 367).
  61. Claude Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd’hui (Paris : Presses Universitaires de France, 2002), p. 155–59.
  62. Ibid.
  63. Pasolini, Uccellacci e uccellini, p. 706.
  64. Pier Paolo Pasolini, « Benedetto Croce e la poesia pura », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, p. 357–60 (p. 358–59).
  65. Pasolini, Uccellacci e uccellini, p. 707–8.
  66. Alberto Sobrero, Ho eretto questa statua per ridere, p. 116.
  67. Pasolini, Uccellacci e uccellini, p. 709–10.
  68. Jean de la Fontaine, « Le Corbeau voulant imiter l’Aigle » [ii, 16], dans La Fontaine, Fables (Paris : Librairie Générale Française, 2002), p. 103–04.
  69. Pasolini, « Dai “Dialoghi con Pasolini” su Vie Nuove », p. 982– 84.
  70. Pier Paolo Pasolini, « La fine dell’Avanguardia », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1400–28 (p. 1425).
  71. Pasolini, « Dal laboratorio », p. 1337.
  72. Ibid.
  73. Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd’hui, p. 157–58.
  74. Pasolini, « I diseredati sono il nostro “Terzo Mondo” », p. 829.
  75. Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd’hui, par. 17.
  76. Pier Paolo Pasolini, « Le fasi del corvo », dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 824–27 (p. 825).
  77. Macciocchi, « Cristo e il marxismo », p. 3.
  78. Pasolini, « Le fasi del corvo », p. 825.

Références

Bibliographie

  1. Bassoli, Vincenzo, « Il Vangelo secondo Matteo », Quaderni di cultura, 2.7 (1966), p. 3–17
  2. Cournot, Michel, « Tonton Marx à Bethléem », Le Nouvel Observateur, 4 mars 1965
  3. Goldmann, Lucien, Pour une sociologie du roman (Paris : Gallimard, 1964)
  4. La Fontaine, Jean de, « Le Corbeau voulant imiter l’Aigle » [ii, 16], dans La Fontaine, Fables (Paris : Librairie Générale Française, 2002), p. 103–04
  5. Lévi-Strauss, Claude, Le Totémisme aujourd’hui (Paris : Presses Universitaires de France, 2002) <https://doi.org/10.3917/puf.strau.2002.01>
  6. Macciocchi, Maria A., « Cristo e il marxismo », L’Unità, 22 dicembre 1964, p. 3
  7. Pasolini, Pier Paolo, « Appendice. La mala mimesi », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1391–99
  8. « Benedetto Croce e la poesia pura », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, p. 357–60
  9. « Il “cinema di poesia” », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1461–88
  10. « Il cinema impopolare », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1600–10
  11. « Il cinema secondo Pasolini », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 2890–2907
  12. « [Cultura borghese – Cultura marxista – Cultura popolare] », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, ii, p. 1995–2001
  13. « Dai “Dialoghi con Pasolini” su Vie Nuove », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 875–1089
  14. « Dal laboratorio (Appunti en poète per una linguistica marxista) », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1307–42
  15. « Dittatura in fiaba », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 337–40
  16. « Le fasi del corvo », dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 824–27
  17. « La fine dell’avanguardia (appunti per una frase di Goldmann, per due versi di un testo d’avanguardia, e per un’intervista di Barthes) » [1966], dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1400–28
  18. « Frammento alla morte », dans Pasolini, Tutte le poesie, i, p. 1050
  19. « I diseredati sono il nostro “Terzo Mondo” », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 825–29
  20. « [Intervista rilasciata a Clemente Ciattaglia] », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 1682–88
  21. « [Intervista rilasciata a Ferdinando Camon] », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 1626–46
  22. « Lettera aperta» [1966], dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 830–31
  23. Lettere 1940–1954, éd. Nico Naldini (Turin : Einaudi, 1986)
  24. « Mircea Eliade, Mito e realtà, Elias Canetti, Potere e sopravvivenza », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, ii, p. 2113–18
  25. « Non ho amato Claudel », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, ii, p. 2721
  26. « [Nota all’Usignolo della chiesa cattolica] », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 366–68
  27. « Opera “ideo-comica” con tema religioso », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 2908–10
  28. Per il cinema, éd. Walter Siti et Franco Zabagli, 2 vol. (Milan : Mondadori, 2001)
  29. « Profezia », dans Pasolini, Tutte le poesie, i, p. 1285–91
  30. « Razionalità e metafora in Pier Paolo Pasolini », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 2911–17
  31. « Risvolto di copertina », dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 828–29
  32. Saggi sulla letteratura e sull’arte, éd. Walter Siti et Silvia De Laude, 2 vol. (Milan : Mondadori, 1999)
  33. Saggi sulla politica e sulla società, éd. Walter Siti et Silvia De Laude (Milan : Mondadori, 1999)
  34. « La sceneggiatura come “struttura che vuol essere altra struttura” », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 1489–1502
  35. Tutte le poesie, éd. Walter Siti, 2 vol. (Milan : Mondadori, 2003)
  36. Uccellacci e uccellini, dans Pasolini, Per il cinema, i, p. 675–834
  37. « Voci nella città di Dio », dans Pasolini, Saggi sulla letteratura e sull’arte, i, p. 394
  38. Siti, Walter, et Franco Zabagli, « Note e notizie sui testi », dans Pasolini, Per il cinema, ii, p. 3033–3249
  39. Siti, Walter, et Silvia De Laude, « Note e notizie sui testi », dans Pasolini, Saggi sulla politica e sulla società, p. 1732–1831
  40. Sobrero, Alberto, Ho eretto questa statua per ridere. L’antropologia e Pier Paolo Pasolini (Rome : Cisu, 2015)

Filmographie

  1. Pasolini, Pier Paolo, Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et gros) (1966)
  2. Il vangelo secondo Matteo (L’Évangile selon saint Matthieu) (1964)